Extrait de Le Candidat, Jean Cau, 2007, Éditions Xenia, Vevey.
L'Académie, Arcadie d'amitié. Parole de Secrétaire perpétuel. Je comprenais qu'il la prononcât puisque, comme Monsieur Mitterrand est "le président de tous les Français" (sauf moi), le Secrétaire perpétuel se veut celui de tous les académiciens. Il se trompe (mais son rôle et sa bonne foi se confondent peut-être) et l'Académie ne serait pas chose humaine si quarante messieurs, à moins d'y être complètement ramollis par de cotonneuses indulgences, n'y contredisaient la vision rousseauiste que chante son Perpétuel. Elle est humaine, l'Académie. On s'y déteste, on s'y jalouse, on s'y guette, on y intrigue, on y ment, c'est humain et ça n'empêche pas de se serrer la main. La nature humaine étant sans surprises et l'éthologie m'ayant donné quelques lumières sur le comportement des hardes, hordes, groupes, troupeaux, clans et tribus, aucune pâleur n'envahissait mon visage lorsque j'entendais: "X est un con, Y un vieux gâteux, Z un fouteur de merde, V un intrigant fébrile, Q un menteur, B un opportuniste, T un caractériel, S un pauvre type, R une girouette, L un traître né," etc. Au mieux, tel ou tel était qualifié de "gentil", "brave type" ou "pas méchant". Quand j'y allais d'un élan: "Mais F... qu'en pensez-vous? Il me semble que...", une badine soufflante me coupai l'éloge au ras des lèvres: "F...? Méfiez-vous! Alors, lui, on peut dire que c'est une planche pourrie!" Comme F déclarait que celui qui me prévenait de sa qualité de planche vermoulue en était lui-même une autre, je marchais avec précaution, comme sur autant d'œufs, sur trente-sept têtes électrices. (pp. 47-48)