Extrait de Entretien avec Albert Zbinden (Céline, Romans, II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1974, pp. 939-940). L'interview (à écouter ici) date de 1957.
Extrait d'une lettre inédite, lue par Lucette Almanzor au cours d'une émission à la O.R.T.F., le 1er décembre 1965.
Zbinden: Vous êtes pacifiste...
Céline: Ah, je suis pacifiste total. D'autant plus que je suis médaillé militaire depuis le mois d'octobre 1914, pas d'hier, je suis mutilé de guerre 80%, je le sens n'est-ce pas, encore actuellement, et par conséquent j'ai tout à fait le droit d'être pacifiste. Je me suis engagé dans le Seconde Guerre même comme médecin d'un bateau; j'ai été coulé au large de Gibraltar; je connais bien les petits à-côtés de la guerre. Je n'aime pas. Je ne l'aime pas. Je trouve ça imbécile et tout à fait défavorable à une société quelconque. Alors j'ai dit—j'ai trouvé—je me suis imaginé les causes de la guerre, que j'ai attribuées à certaines sections... Philippe le Bel devait tous ses malheurs aux Templiers... les jansénistes ont été poursuivis pendant quatre ou cinq siècles. L'histoire du Port-Royal n'est pas tout à fait terminée, on en parle encore. Les Jésuites ont été persécutés, etc. Peut-être que j'ai accroché une secte qui n'était pas si déméritante que je l'ai dit, peut-être... mais la preuve est à faire, elle se fera par l'histoire.
Zbinden: Disons le mot, vous avez été antisémite.
Céline: Exactement. Dans la mesure où je supposais que les Sémites nous poussaient dans la guerre. Sans ça je n'ai évidemment rien—je ne me trouve nulle part en conflict avec les Sémites; il n'y a pas de raison. Mais autant qu'ils constituaient une secte, comme les Templiers, ou les jansénistes, j'étais aussi formel que Louis XIV. Il avait des raisons pour révoquer l'édit de Nantes, et Louis XV pour chasser les Jésuites... Alors voilà, n'est-ce pas: je me suis pris pour Louis XV ou Louis XVI, c'est évidemment une erreur profonde. Alors que je n'avais qu'à rester ce que je suis et tout simplement me taire. Là j'ai péché par orgueil, je l'avoue, par vanité, par bêtise. Je n'avais qu'à me taire... Ce sont des problèmes qui me dépassaient beaucoup. Je suis né à l'époque où on parlait encore de l'affaire Dreyfus. Tout ça c'est une vraie bêtise dont je fais les frais. Et à ce moment-ci, remarquez, je suis accablé par toute espèce de gens qui me trouvent transfuge, relaps, vendu, etc.
Zbinden: Qu'est-ce que vous pensez de cet opprobre?
Céline: Ah, rien du tout. Je dis que j'aurai bientôt soixante-cinq ans, j'aurai la retraite des médecins, 200 000 francs par an, et que mon Dieu je resterai bien tranquille... je serai parvenu tout de même à passer à travers la plus grande chasse à courre qu'on ait organisée en Histoire... c'est déjà pas mal!... je ne renie rien du tout... je ne change pas d'opinion du tout... je mets simplement un petit doute, mais il faudrait qu'on me prouve que je me suis trompé, et pas moi que j'ai raison.
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Extrait d'une lettre inédite, lue par Lucette Almanzor au cours d'une émission à la O.R.T.F., le 1er décembre 1965.
Je ne voulais pas être poussé dans ma vie à une nouvelle guerre, c'est tout. Je ne voulais aucun mal aux juifs. J'ai toujours trouvé toutes les mesures prises contre les juifs pendant l'Occupation—étoile etc...—grotesques. Je l'ai dit. Je n'ai jamais écrit une ligne ni fait un geste contre les juifs pendant l'Occupation. Je ne touche pas à un adversaire abattu. Je suis un duelliste, pas un assassin.