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29 April 2012

Il y a dix ans: le procès Houellebecq

Les faits

Dans une interview de 2001 (que voici), l'écrivain français Michel Houellebecq (prix Goncourt 2010) déclarait entre autres

La religion la plus con, c'est quand même l'islam. 

Ce propos provocateur, un parmi tant d'autres, lui a valu l'indignation de tous ceux qui  trouvent que la république doit punir les citoyens qui manquent de respect aux religions, l'islam en particulier. Une poursuite a été lancée par (1) la Société des Habous et des Lieux Saints de l'Islam, (2) l'Association Rituelle de la Grande Mosquée de Lyon, (3) la Fédération Nationale des Musulmans de France, (4) la Ligue Islamique Mondiale, basée en Arabie saoudite, et (5) la Ligue des Droits de l'Homme [sic, bonnet phrygien inclus], basée en France, celle-là. Elles souhaitaient une condamnation au nom « du droit au respect pour les musulmans », réclamant un total de 190000 euros de dommages et intérêts. 

A l'audience, le romancier a revendiqué son « mépris pour l'islam » et le droit de critiquer les religions monothéistes. Il a déclaré notamment  

Les textes fondamentaux monothéistes ne prêchent 
ni la paix, ni l'amour, ni la tolérance.
Dès le départ, ce sont des textes de haine. 

Le 22 octobre 2002 les magistrats de la 17e chambre du tribunal correctionnel ont estimé que les jugements de M. Houellebecq n'étaient « sans doute caractérisés ni par une particulière hauteur de vue, ni par la subtilité de leur formulation », mais ne constituaient pas un délit. (En lire plus ici.)

Commentaire

L'issue de ce procès est une victoire pour la liberté d'expression. Mais si ce genre de victoires se multiplie, la défaite finira néanmoins par être totale.  Brigitte Bardot, par exemple, a été moins heureuse. (Lisez et tremblez.) Il s'agit bien de la Brigitte Bardot qui avait donné en tant que Marianne un visage (et quel visage!) aux valeurs républicaines.


Ses propos négatifs sur les musulmans (pas trop différents de ceux du président de Gaulle, qui ne pouvait pas admettre un président arabe à l'Elysée ni des millions de musulmans en France) sont qualifiés d' « incitation à la haine raciale ». Il est difficile de comprendre comment critiquer une religion puisse être du racisme: il  n'y a aucun rapport entre la religion et la race! On ne peut pas reprocher à quelqu'un la couleur de sa peau, parce qu'il est condamné à naître et mourir avec. Mais on peut lui reprocher son adhérence politique ou sa religion, parce qu'il les choisit librement. L'article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme garantit expressément la liberté de changer de religion. Par conséquent, les choix religieux, comme les choix politiques, ça se discute. Et si on peut ranger les programmes politiques selon certains critères objectifs (par exemple en chiffrant les impôts qu'ils représentent), on peut faire de même avec les religions. On pourrait, par exemple, comptabiliser le nombre de leurs victimes par siècle, et déclarer que, de ce point de vue, le Bouddhisme est la meilleure des religions. D'après d'autres critères, il y en aura d'autres qui seront les meilleures ou les pires. Churchill, par exemple, a écrit (voir ici) que l'islam est la plus puissante force rétrograde sur terre. Que faire? Lui retirer le prix Nobel de Littérature qu'il a reçu en 1953 «pour sa maîtrise de la description historique et biographique, ainsi que pour sa brillante éloquence dans la défense des valeurs humaines exaltées» ? Lui retirer sa Légion d'Honneur (1958)? L'exhumer, à l'instar du pape Formose, pour lui faire un procès posthume? 

Les Droits de l'Homme sont nés en France, et tous les régimes depuis la révolution en ont solennellement proclamé leur version. Pour n'en citer qu'une:

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire et imprimer librement; et nul ne doit être inquiété pour ses opinions, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.  (Les Déclarations des Droits de l'Homme, Textes présentés par Lucien Jaume, GF Flammarion, 2001 p.281)

Plusieurs versions ajoutent même que ce droit est 

une conséquence si nécessaire du principe de la liberté de l'homme, que la nécessité de l'énoncer suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme. (Idem, p.258)

A plus forte raison, le seul fait qu'il y ait des procès sur des opinions exprimées relève du despotisme.

1885: la statue de la Liberté émerge de l'atelier parisien de son sculpteur

Mais revenons vers la triste réalité du 21ième siècle. Tout le monde n'est pas prêt à risquer, comme Houellebecq, un an de prison et 45000 euros d'amende, ou a les moyens d'affronter des coalitions d'organisations beaucoup plus puissantes que lui. Ceux qui ne sont pas richissimes, héroïques ou idiots préféreront éviter des ennuis juridiques. On pense à Voltaire, à qui on attribue (faussement) 

Je me suis ruiné deux fois, la première fois pour avoir perdu un proces, 
la seconde fois pour en avoir gagné un. 

Ainsi, la liberté meurt une mort lente et invisible, par l'autocensure des citoyens devant la complicité du pouvoir.

P.S. Lire également: la condamnation de Brigitte Bardot